23/04/2011

Poème familial

Cahier de poésies couvrant la période du 29 février 1916 au 24 août 1929
Blanche HUREL (1850-1931)

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Poème familial

Le sort en est jeté, sans plus de préambule,
De tout conte de fée empruntant la formule,
Sur l'heure je commence !... … …

Il était une fois,
Près de l'âtre où flambait gaiement un feu de bois,
Une chétive enfant, que la sollicitude
De parents très aimants, retenait d'habitude,
Pendant les durs hivers, au logis prudemment,
Sans songer que l'ennui fait mourir, lentement!...

Par bonheur, se trouva, cette pauvre captive,
Tour à tour d'un aïeule, à la garde attentive,
Transmise à l'autre aïeule, encor assez longtemps,
Pour voir fondre la neige et fleurir le printemps,

Et toujours, jusque là, leur égale tendresse,
Leur sut bien inspirer, avec grâce et adresse,
L'art de la rendre heureuse, en changeant ses loisirs,
Très fastidieux, parfois, en d'aimables plaisirs ! … …

Puis, tout en l'initiant aux travaux de couture,
Assise à leurs côtés, poursuivre la culture
De son naissant esprit ainsi que de son cœur,
Ne pouvant sans arrêt, de fables enfantines
Agiter les grelot, ou cloches argentines,
Au cours de leurs récits, et, comme à l'insu d'elles,
L'une et l'autre arrivaient, à soulever les ailes,
Inertes soixante ans, de quelque souvenir,
Qu'en secret, la fillette, habile à retenir,
S'efforçait d'enchâsser, au fond de sa mémoire,
Pour en redire, un jour, l'intéressante histoire......

Laissons-la donc parler :
« Du côté paternel,
Grande, mince et d'aspect distingué, solennel,
Grand'Mère conservait encor de la jeunesse,
Malgré l'âge, en ses traits, et fraicheur, et finesse,
Cependant, rarement, un sourire furtif,
Venait illuminer son visage pensif ! …

Dans ses longs entretiens, un peu comme à l'Église,
Au prône, l'officiant enseigne et moralise,
Sa voix se faisait grave, et ses sages leçons,
Impressionnaient toujours d'étonnantes façons,

Révélant, aisément, quelle existence amère,
sur son front avait mis, son empreinte sévère,
De tout temps, lui ayant prodigué les douleurs,
Et fatigué ses yeux à répandre des pleurs.

Le dix-huitième siècle, témoin de sa naissance
En l'an quatre-vingt-trois, dès sa petite enfance
Lui faisait traverser de la Révolution,
Les angoissants tourments, l'affreuse évolution :

Ses oncles et son père, au sortir de l'armée,
En la maison du Roi, récemment réformée,
Bien dignes de servir, ayant eu le bonheur,
A titre d'écuyers, d'en obtenir l'honneur,

Se flattaient, à jamais, d'y poursuivre leur voie,
Lucrative, enviée, et promettant la joie,
Contre les coups du sort de pouvoir prémunir,
Leur famille, et d'aussi, fixer son avenir.

Heureux coulaient leurs ans, … lorsque des bruits d'orage,
Assez lointains d'abord, grondèrent avec rage ! …
S'étant tous concertés, on jugea sagement
Épouses et enfants d'éloigner promptement :

Grand'Mère, dès ce jour, du malheur qui s'exile,
Entra dans les sentiers, hasardeux, sans azile,
Son tendre cœur en proie au cruel désespoir,
de partir sans son père, esclave du devoir,

Les trois frères, remplis d'un même noble zèle,
Étant bien résolus, en leur âme fidèle,
De rester à leur poste, devraient-ils en mourir,
Plutôt qu'à leur devoir de jamais défaillir ! …

Ils tinrent, en effet, largement leur parole,
Mais, l'ouragan passa, nivelant chaque rôle,
Tenant, comme suspects, tous ceux que leur passé,
Rattachait tant soit peu, au pouvoir renversé :

Avoir, honnêtement, occupé quelque place,
Auprès des Souverains, ou de la Haute Classe,
Devint, « Crime d'État » passible de la mort !...

Pour éviter l'horreur, d'un si funeste sort,
S'étant donc séparés, par différentes routes,
S'éloignant, à dessein, de celles les plus courtes,
Chacun s'achemina, vers le pays natal,
Espérant s'y soustraire, au dénouement fatal !! …

En chemin, le plus jeune, encor célibataire,
Dans soldats rencontrant, les suivit volontaire,
Ce qui le conduisit à trouver, sur leurs pas,
Dans les champs de Fleurus, un très glorieux trépas ! …
Bataille de Fleurus - 1794 -  (1)

Le second, moins chanceux, errant par la campagne,
Proscrit, qu'aucun espoir, jour ni nuit, n'accompagne,
Épuisé par des mois d'extrême privation,
Victime de la haine et de la délation,

A l'instant où pointait, à ses yeux, le mirage,
D'atteindre enfin, le but, de son triste voyage,
Il se vit, arrêté, conduit au tribunal,
Siégeant à Montdidier, justicier régional
Condamnant sans appel. Puis, en fin de journée,
Envoyé des martyrs, compléter la fournée !

Son sang fut en ce lieu, le dernier répandu ! …
Un autre arrêt, pourtant, avait été rendu,
Destinant à la mort une très jeune mère.
Le peuple soulevé, de pitié, de colère,
Quand on la descendit du cruel tombereau,
Sur les gardes fonçant, renversant le bourreau,
L'enleva prestement, laissant filles et femmes,
L'infernal échafaud, vite livrer aux flammes ! …

Quelques heures plus tard, joyeusement surpris,
On reçut la nouvelle, émanant de Paris,
Que l'infâme terreur voyait finir son règne,
Sans qu'un brusque retour, de sa part, l'on ne craigne ! …

S'il fût, dès le matin, ce message arrivé,
Notre malheureux oncle, aurait été sauvé ! …
Bien trop tard, pour beaucoup des ses enfants, la France,
De ses affreux tyrans répudiait la démence,
Honteuse d'endosser les poids de leurs forfaits,
Et d'une ère de paix, aspirait aux bienfaits ! …

Et le calme revint... Mais l'angoisse cruelle,
Longtemps subsista, pour ceux restés sans nouvelle
Du proscrit que la haine avait compté frapper,
Et qui, peut-être bien, n'avait pu réchapper
D'un aussi grand péril ! … Dans le doute et l'attente,
Que les mois semblaient longs, que l'heure coulait lente !…

Puis las d'espoirs déçus, le croyant au cercueil,
Les nôtres de l'absent prirent enfin le deuil !!! …
Grand'Mère avait alors, étant la fille aînée,
Atteint les alentours de sa douzième année,

Age qui, d'ordinaire, au cœur pur de l'enfant,
Imprime, pour toujours, un souvenir touchant
Qu'avec douce émotion, l'âme entière, ravie,
Se plait à réveiller, aux confins de la vie !

Je veux parler de la « Première Communion »,
Évoquant, pour tout cœur, la bienheureuse union
Des familiales joies et des bonheurs mystiques,
Fête, chère aux foyers, glorieuse aux basiliques,
Montrant l'autel paré de l'éclat des grands jours,
Et, des chants transportant aux célestes séjours !

Il n'en fut point ainsi, pour la triste fillette !
Sous un bien humble toît, dans Amiens, la pauvrette,
Depuis un certain temps, veillait à tous besoins,
Prodiguant, jour et nuit, ses plus vigilants soins,
A sa chère maman, succombant de misère,
Et près de son frérot, suppléant à sa mère,

Ce qui ne l'empêchait, en gérant le bercail,
De l'enrichir un peu du gain de son travail,
Car, de ses doigts menus, se montrant très agile
A coudre, à repasser, elle était fort habile ! …

Pour elle, en ces jours, vint le solennel moment,
Du pieux enseignement, parfait couronnement
Longuement préparé dans le silence et l'ombre !

Une nuit, elle alla, sous son vêtement sombre,
(Nullement réhaussé de signes apparents),
Sans cortège affectueux d'amis ni de parents,
Vers un grenier perdu (devenu presbytère
Et chapelle à la fois) et là, dans le mystère,
Sans pompe, sans flambeaux, mais bien dévotement,
Premièrement reçut, le divin Sacrement,
De la tremblante main, d'un prêtre vénérable,
Caché dans le secret de ce lieu misérable,

A ce moyen extrême ayant été réduit
Pour s'éviter le sort, digne seul d'un bandit,
Que luis aurait valu, sa fidèle constance
A son loyal devoir, à sa saint croyance ! …

De ces faits, la mémoire, image de douleurs,
A Grand'Mère, toujours faisait verser des pleurs,
Et, quand, sur ce sujet, notre jeune imprudence
Osait l'interroger, envers la Providence,
Elle excitait en nous, par la comparaison,
L'élan reconnaissant, de la juste raison ! …

(inachevé - Plusieurs pages blanches suivent qui n'ont jamais été remplies)

(1) Artiste Jean Baptiste Mauzaisse - Bataille de Fleurus, victoire française du général Jourdan, le 26 juin 1794, contre l'armée autrichienne menée par les princes de Cobourg et d'Orange. A gauche de Jourdan, Saint-Just en mission, à droite Marceau, Kléber et Championnet.  (Source wikipédia)